Quelles sont les valeurs fondamentales du professionnel libéral en 2020 ? Face au digital, aux contraintes de l’Europe, de l’État, comment faire vivre et développer les valeurs intrinsèques des Indépendants, déontologie, éthique professionnelle et responsabilité individuelle ?
Telle était la thématique de la table ronde plénière du Congrès UNAPL du 6 décembre 2019, modérée par Yves THRÉARD, Directeur adjoint de la rédaction du Figaro, et remarquablement introduite par Emmanuel LECHYPRE, journaliste économique à BFM TV .
Ces échanges ont été filmés et sont rediffusés sur la Chaine YouTube de l’UNAPL et le Journal Spécial des Sociétés (JSS) lui a consacré un large article.
Intervenants de la table ronde :
- Xavier Bertrand, Président de la région des Hauts-de-France, ancien ministre de la santé et du travail
- Nicolas Bouzou, Économiste, essayiste directeur du cabinet conseil ASTERES
- Bénédicte Bury, Vice présidente de l’ACE et de Femmes AAA+, Ancien membre du Conseil National des Barreaux,
- Michel Chassang, Ancien président de la CSMF, ancien président à l’UNAPL, président de groupe des professions libérales CESE
- Régis Chaumont, Président de l’UNSFA
Contribution de Bénédicte Bury : voici les points que j’ai abordés dans ce débat.
1. Europe et valeurs communes
Les professionnels libéraux : croissance inclusive et cohésion sociale.
Le président de l’Union nationale de professions libérales (UNAPL) a rappelé dans le manifeste commun UNAPL et BFB (*) aux candidats aux élections européennes, les attentes des professionnels libéraux pour une Europe plus sociale et protectrice et l’enrichissement de leur identité par les valeurs communes partagées au niveau européen. (résultats de l’enquête UNAPL/BFNB).
Les travaux du Comité économique et social européen en 2014 ont permis de reconnaitre le poids économique et social des professions libérales en Europe, le rôle clé des professionnels libéraux dans l’économie, vecteurs d’humanisme et de dynamisme dans un monde en mutation.
Les professions libérales sont également un poids lourd de l’économie européenne : 5,17 millions de professionnels libéraux produisent 10% du PIB de l’Union.
La Commission et le Parlement européen ont également reconnu la contribution particulière des professionnels libéraux à l’intérêt général, tout en relevant que leurs spécificités demeurent souvent ignorées.
A cet égard, le président de l’UNAPL a rappelé la volonté de coopération avec la Commission européenne sur tout projet d’initiative relatif au développement du secteur libéral.
Les professionnels libéraux s’adaptent aux besoins en s’appuyant sur la confiance et la proximité et assurent un lien indispensable à la cohésion sociale.
Protéger l’intérêt du public
Pour qu’ils puissent continuer de le faire avec qualité de service et sécurité, il faut maintenir les exigences actuelles de déontologie professionnelle et formation continue, dans un cadre adapté, reposant notamment sur l’autorégulation et la réglementation professionnelle.
L’UNAPL a souligné que la réglementation a pour seule finalité la protection de l’intérêt du public (client/patient), en garantissant la sécurité et la qualité des prestations et en légitimant la promotion du système déjà éprouvé des Organisations professionnelles de professions libérales dans tous les États membres avec des exigences de qualification contrôlées par des praticiens.
Ces organisations professionnelles réduisent la charge pesant sur les États et veillent à ce que la valeur ajoutée sociétale continue de préserver la cohésion sociale, dont les professions libérales, « liens de la vie » sont les artisans.
Il convient donc de soutenir les modes d’exercice des professionnels respectueux de l’indépendance, de la compétence, de la confiance et de la proximité avec une vigilance accrue à raison de l’impact de la numérisation et de l’Intelligence artificielle.
L’avis du Conseil économique et social européen (CESE)
Il ressort de l’avis du Conseil économique et social européen (CESE) de 2014 sur « Le rôle et l’avenir des professions libérales dans la société civile européenne de 2020 » que l’activité des professions libérales se caractérise par une asymétrie d’information avec le bénéficiaire du service, mais j’entends plus précisément asymétrie de compétence.
Il y est relevé que, dans tous les États membres, les Organisations professionnelles ou les Ordres représentent les intérêts de leur profession et participent au processus de réglementation. Les États membres, quant à eux, organisent et contrôlent l’autonomie des professions libérales.
Le CESE souligne que ce secteur est essentiel à raison des possibilités d’emploi qu’il offre aux jeunes qui choisissent l’exercice d’une profession libérale.
Il en cible les caractéristiques communes suivantes:
– prestation d’un service immatériel de grande valeur à très forte dimension intellectuelle sur la base d’une formation de très haut niveau,
– un service d’intérêt général,
– un esprit d’indépendance professionnelle et économique,
– un service à titre personnel sous sa propre responsabilité, une relation de confiance, un secret professionnel protégé.
– la primauté de la qualité sur la recherche du profit,
– le respect de règles éthiques et professionnelles expression de la responsabilité sociale des professions libérales (accessibilité sur l’ensemble du territoire)
Il convient certainement de noter que, dans de nombreux pays, le fait qu’une activité soit exercée pour le compte d’un employeur n’exclut pas la qualification de profession libérale, dès lors que l’indépendance est garantie.
Codes et normes éthiques
Le CESE recommande à juste titre que tous les Ordres, Organisations et Associations de professions libérales se dotent de codes et de normes d’éthique ainsi que de commissions de déontologie structurées au sein des différentes professions.
En 2008, le Conseil des barreaux européens (CCBE) a mis en œuvre le nouveau chantier de la rédaction d’un code « harmonisé » de déontologie (baptisé le «Code modèle de déontologie» en 2014) pour les avocats européens, ayant vocation à s’appliquer dans leurs activités transfrontalières comme dans leurs activités nationales.
Trois articles en ont déjà été intégrés dans le code de déontologie du Conseil National des Barreaux français, à savoir ceux relatifs au Secret professionnel au Conflit d’intérêts et à l’Indépendance de l’avocat.
Les professions à pratique prudentielle, selon Florent Champy
Je citerai ici l’intérêt des travaux de Florent Champy en sociologie des professions sur les professions à pratique prudentielle : selon ses observations, la spécificité de ces professions (architectes, médecins, professionnels de la santé, avocats, journalistes…), est d’être confrontées à des problèmes qui, parce qu’ils sont singuliers et complexes exigeant un traitement individualisé, sont difficilement compatibles avec un traitement par l’application mécanique de principes scientifiques, à la formalisation, standardisation et difficilement prévisibles, sans apporter la certitude exigée.
Ces problèmes relèvent d’un monde de connaissance et d’action : « la prudence ».
Florent Champy observe (dans Les professions à pratique prudentielle) que l’analyse du travail professionnel prudentiel fait ressortir deux dimensions caractéristiques de la prudence selon Aristote :
– une composante conjecturale, les incertitudes dues à la singularité et à la complexité des cas à traiter obligeant à faire des paris,
– une composante de délibération, sur les fins de l’activité, l’impossibilité de toujours servir de façon également satisfaisante, toutes les fins de l’activité rendant inévitables des choix en fonction de leur hiérarchie, de manière réflexive
L’autorégulation selon Olivier Favereau
Des économistes, historiens, sociologues réunis autour d’Olivier Favereau ont mis en évidence (dans Les avocats, entre Ordre professionnel et Ordre marchand) trois arguments en faveur de l’autorégulation :
1 – L’application aux activités professionnelles de la concurrence par les prix a pour conséquence une insuffisante prise en compte de la qualité des services,
2 – L’organisation collégiale de la profession est nécessaire à l’exercice de l’activité, le collectif jouant un rôle important dans la circulation des savoirs et des informations,
3 – Pour les professionnels contribuant au bon fonctionnement de l’état de droit pour les avocats, au cadre de vie pour les architectes, à la santé publique pour les médecins, au bon fonctionnement de l’économie pour les experts comptables, la qualité du travail n’est pas seulement un enjeu à l’échelle individuelle pour le client mais aussi systémique, ce qui éloigne des logiques de marché.
Florent Champy remarque encore, qu’en prenant en compte le caractère prudentiel de l’activité, la mission des organisations, au-delà de la défense de l’intérêt général ou particulier de leurs membres, est de veiller plus précisément au maintien et au développement des conditions propices à l’exercice prudentiel de leur activité ce qui permet de répondre à la fois aux intérêts des usagers, à ceux du professionnel consciencieux et à ceux de la société.
Comment parler des professions ? (par Florent Champy & Marc-Olivier Déplaude , Collège de France le 30 juin 2015
Nouvelle théorie sociologique des professions (par Florent Champy, PUF 2011)
2. Entreprendre avec Impact sociétal : l’attractivité pour les jeunes.
Attirer les jeunes vers l’exercice libéral
La Commission européenne et de l’UNAPL partage une préoccupation commune : favoriser un exercice plus entrepreneurial auprès des jeunes générations.
« On ne nait pas professionnel libéral, on le devient »
Ceci rejoint la dynamique des jeunes générations pour plus d’autonomie et des métiers à impact sociétal, plus de souplesse, plus d’horizontalité et moins de hiérarchie, ils sont souvent prêts à prendre plus de risques. Ils apparaissent donc avoir la maturité pour un monde d’incertitude et des métiers ou activités prudentielles
Il a été relevé que l’essor des nouvelles professions non réglementées (conseil, formation, bien être, informatique…) expliquait que les institutions européennes considèrent que les professionnels libéraux doivent être soutenus et que leur contribution apporte une part décisive à la réalisation d’une économie de la connaissance compétitive et durable.
Ce qui a été nouveau c’est l’accent mis sur l’entrepreneuriat dans les professions libérales, avec une véritable stratégie de développement et la suite attendue du plan d’action «Entrepreneuriat 2020 » dans lequel la Commission mentionnait la nécessité d’une attention particulière aux indépendants libéraux qui apportent une contribution substantielle à l’économie européenne.
Le parlement et le CESE ont souligné l’importance de se pencher sur l’entreprenariat dans le secteur libéral.
Citons également le Rapport de la Commission Bolstering en 2015 : The business of the liberal professions, qui fait la promotion de l’entrepreneuriat et des professions libérales auprès des jeunes, thème choisi également par l’UNAPL lors de sa conférence européenne de Juin 2015 : Attirer les jeunes vers l’exercice libéral : Favoriser un exercice plus entrepreneurial auprès des jeunes générations.
Le télétravail, une opportunité à saisir et à maitriser
Le télétravail apporte un gain de productivité et flexibilité et peut accroitre la qualité de vie, en favorisant la proximité :
« Work wherever you want, and where needed ! »
Le télétravail permet au professionnel libéral de faciliter ses déplacements, de se rendre là où il est appelé, auprès de son client/patient sans être coupé du cabinet lorsque cela est possible, de travailler de chez lui, ou d’où il souhaite, avec le souci de se protéger d’un envahissement mais aussi d’une trop forte déconnexion des autres.
Le professionnel libéral, souvent en petite structure, doit veiller à ne pas s’isoler, c’est essentiel.
Un exercice individuel – nombreux d’entre nous le souhaitent profondément et ont parfois même choisi cet exercice pour cette liberté et indépendance qu’elle permet – ne doit pas pour autant signifier de devenir solitaire.
Il convient de favoriser le développement de lieux de partage, de connaissances (les formations), des structures d’exercice en groupe, et aménager des rencontres « réelles », « humaines », nécessaires et riches avec le client, avec ses équipes projet et avec d’autres professionnels (associations, syndicats) : l’UNAPL en montre bien la voie.
L’entrepreneur libéral, L’avocat peut être partout !
Ressources :
- L’encadrement légal du télétravail (Ordre du Barreau de Paris)
- Les télétravailleurs sont vraiment plus productifs (Harvard Business Review)
RSE stratégique des professionnels libéraux
La prise de conscience sociétale est récente : on observe le passage de la réduction d’impact négatif à une RSE stratégique pour contribuer positivement à notre écosystème et à la société toute entière.
C’est la sortie d’une conception très libérale de l’école de Chicago pour laquelle, schématiquement, le seul objet de l’entreprise est le profit des actionnaires et l’idée importante qu’il sera redistribué au sein de la société. Cependant cela n’a pas bien fonctionné. Au contraire, les inégalités et les écarts se sont creusés, source de tensions sociales potentiellement explosives.
On s’oriente aujourd’hui vers une théorie des parties prenantes pour intégrer les intérêts de la société avec des approches plus globales, plus «communautaristes» (Porter et Kramer, Creating shared value, 2011, Harvard Business eview : )
Pour Fabrice Bonnifet, Président du Collège des directeurs de développement durable (C3D), il y a aujourd’hui un consensus afin de souligner que le levier important c’est le management des organisations et leur capacité à se réinventer pour conserver leurs clients :
« Le défi pour les entrepreneurs, est de créer de la valeur partagée pour les clients, les actionnaires, les collaborateurs, la société civile, au travers de business model générant des externalités positives (améliorer la qualité de vie et la santé des personnes, réduire les inégalités, régénérer les écosystèmes…) L’entreprise contributive a l’ambition de transformer chacun de ses impacts sociaux et environnementaux pour qu’ils soient net positifs. »
Il cite Patrick d’Humières, fondateur de l’Académie durable « Il n’y a pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd ».
Il est aujourd’hui établi que l’adoption d’une stratégie RSE est profitable à tous égards et notamment au plan financier. Et la recherche de l’impact sociétal contribue à la réduction des risques : l’urgence climatique révèle les risques de dérèglements et leur développement, négatif pour tous.
De son côté, la finance responsable et solidaire progresse. Le secteur bancaire innove aussi afin d’accompagner ses clients à atteindre des objectifs durables, comme en témoigne notamment les pratiques reliant le taux d’intérêt à la performance RSE d’un emprunteur dans le cadre notamment d’un « crédit à impact » ou des facilités de financement accordées à ses fournisseurs vertueux.
Enfin, et peut être avant tout, les jeunes sont porteurs de cette « responsabilité de l’avenir ». Ils aiment la RSE et le secteur de l’Économie Sociale et Solidaire.
Le changement culturel est en marche ! Et chacun d’entre nous peut y contribuer, tel le colibri.
Professionnels libéraux : le double réflexe stratégique RSE
« La RSE est devenu un sujet central de la vie économique et je suis convaincue que les avocats ont un rôle majeur à jouer pour faire avancer ces sujets. En matière de RSE, les avocats exercent plus qu’un devoir de vigilance, ils ont un rôle d’impulsion au changement » comme l’indiquait Madame le Vice Bâtonnier Dominique Attias lors de la conférence sur la plus-value de l’avocat en matière de RSE du 8 juin 2017.
Les professionnels libéraux sont engagés par nature, ils ont un rôle d’impulsion dans ce changement culturel.
Par exemple, en défense ou en conseil, l’avocat peut intervenir lorsque des responsabilités sont encourues, lorsque des dommages doivent être réparés. Il peut aussi intervenir pour faire sanctionner les détournements de la RSE ou green washing (éco blanchiment).
Mais aussi l’avocat peut développer la soft law, le droit souple, celui qui est conçu par l’entreprise, celui qui est élaboré au sein de groupements professionnels. Il peut accompagner l’entreprise et les nouveaux mouvements de régulation, dans une démarche RSE proportionnée et adaptée à sa taille comme à sa raison d’être et son identité, avec le concours d’autres professionnels.
Deux axes de développement s’offrent à lui :
– dans un domaine d’activité, un domaine d’expertise particulier (droit de la santé, droit du travail, droit de l’environnement….) pour une intervention ciblée
– dans le cadre d’un projet d’accompagnement RSE dans lequel l’avocat intervient comme membre d’une équipe, en qualité de spécialiste d’une question de RSE ou comme « chef d’orchestre », coordinateur de l’ensemble et d’une équipe de plus en plus pluridisciplinaire et interprofessionnelle.
Surtout c’est le rapport au métier, à son client qu’il convient de travailler pour se « réinventer » pour conserver ses clients, ses collaborateurs, concevoir ses produits et services pour leur impact sociétal en tenant compte, avec les parties prenantes, de son écosystème.
3. L’interprofessionnalité libérale à l’épreuve
Le potentiel interprofessionnel est là pour accompagner entreprises, équipes, familles.
L’impact sociétal des professionnels libéraux apparait naturel car chacun accompagne la qualité de la vie et des cadres de vie ce qui correspond à tout le volet social de la RSE (santé, avocats,…), ou encore environnemental (architecte, urbanistes, …)
Le financement tient compte des performances non exclusivement financières, ou accompagne des projets de création de structures interprofessionnelles à impact sociétal, gage de durabilité, ainsi qu’il résulte des études menées sur la profitabilité de la mise en place d’une stratégie de performance globale, non exclusivement financière court-termiste.
Les possibilités offertes d’exercice interprofessionnel : L’adoption de la loi pour la Croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dites loi Macron, a ouvert le champ des possibles en matière d’interprofessionnalité :
– Interprofessionnalité capitalistique : La détention majoritaire pour des professionnels n’exerçant pas dans une SEL juridique est possible, en capital et en droits de vote, par toute personne exerçant une profession juridique ou judiciaire. Le capital est également ouvert à des professionnels issus de l’Union Européenne ou de Suisse.
– Interprofessionnalité d’exercice : Véritable innovation, la société pluri-professionnelle d’exercice (SPE) autorise la constitution d’une société qui a pour objet l’exercice en commun de deux ou plusieurs des neuf professions réglementées nommées (avocat, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, commissaire-priseur judiciaire, huissier de justice, notaire, administrateur judiciaire, mandataire judiciaire, conseil en propriété industrielle et expert-comptable – à note que les commissaires aux comptes sont actuellement exclus de ce champ). Cette dernière peut prendre la forme d’une SEL, ou de toute autre forme sociale tant que cette dernière ne confère pas à ses associés la qualité de commerçant. Pour permettre à ce nouvel outil de se déployer les dispositions du décret d’application n° 2016- 87 du 29 juin 2016 leur sont applicables.
La pluriprofessionnalité d’exercice
La pluriprofessionnalité d’exercice permet de mettre en commun des ressources, des compétences, des équipes pluriprofessionnelles favorisant l’approche globale et permettant d’offrir une nouvelle expérience client (ce concept de « customer experience » est né à la fin des années 1990 avec l’ouvrage de Joseph B. Pine et James H. Gilmore, « The Experience Economy » (l’article fondateur de HBR date de 1998 : https://hbr.org/1998/07/welcome-to-the-experience-economy).
Au-delà du guichet unique « full service » dont tous ont convenu qu’il est de nature à répondre aux attentes d’un service global, la pluriprofessionnalité est de surcroit un levier de croissance durable.
Il s’agit en effet de pouvoir se projeter avec plus d’intelligence collective pour mieux appréhender le marché. En outre, la pluriprofessionnalité permet la conception d’offres de services et produits plus adaptés aux besoins des clients, éclairés d’une vision plurielle et non pas seulement de la juxtaposition d’expertises professionnelles. Cette élaboration commune, enrichie encore de la participation des parties prenantes de notre écosystème, permettra au développement de la pluriprofessionnalité de s’inscrire dans une démarche de croissance durable et inclusive.
Nous savons bien que les professionnels pratiquent depuis longtemps l’interprofessionnalité à travers de nombreux partenariats, reposant parfois sur un travail en commun. Nous pourrions certainement ajouter qu’on ne nait pas interprofessionnel mais qu’il est parfaitement possible de le devenir ! La bonne nouvelle c’est que ça s’apprend, ensemble nécessairement et en le vivant de préférence ! Trouvons, par ces pratiques, une raison d’être dans la volonté de développer un ou plusieurs projets communs de services et de produits avec une vision partagée de leur impact sociétal.
Les activités accessoires interprofessionnelles
Une autre innovation a fait moins de bruit mais est particulièrement prometteuse et potentiellement très interprofessionnelle, c’est la possibilité offerte aux avocats, par des décrets du 29 juin 2016 sur les incompatibilités, d’exercer des missions commerciales accessoires. Les institutions encadrent ces nouvelles activités qui se développent. Les Ordres reçoivent a posteriori les notifications. Il n’y a pas d’autorisation préalable.
Pour la profession d’avocat, les commissions Règles et usages et Statut professionnel de l’avocat au sein du Conseil national des Barreaux ont entrepris un travail considérable, en particulier sur la commercialisation à titre accessoire de biens ou de services connexes à l’exercice de la profession d’avocat.
Cette commercialisation est désormais autorisée si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession. L’activité est accessoire tant que l’avocat continue d’exercer sa profession, l’exercice effectif restant une obligation déontologique.
La réforme permet ainsi à l‘avocat d’investir les legaltech, ce qui nous permet d’apporter enfin notre expertise et notre éthique à ce marché en plein essor.
Dans le cadre de telles sociétés commerciales qui n’ont pas pour objet l’exercice de la profession d’avocat, l’avocat peut s’associer avec des non-avocats et plus généralement avec tout professionnel.
Les activités sont considérées comme connexes selon les critères suivants :
- Connexité directe verticale : l’avocat répond à un besoin connexe d’un client, par exemple dans le cadre de la création d’entreprise, seraient connexes l’activité de conseil pour le financement, la stratégie, le coaching, les études de marché…
- Connexité indirecte : l’avocat est sollicité pour une compétence spécifique et par exemple l’avocat spécialisé en propriété intellectuelle sollicité pour une compétence en production d’artiste.
Les freins à l’interprofessionnalité
Les freins sont nombreux :
- Le bouleversement culturel d’un confort d’exercice, même si le confort ressenti est de plus en plus relatif,
- les craintes de perdre prescripteurs ou apporteurs d’affaires,
- La déontologie, essentielle,
- la préoccupation fondée de garantir l’indépendance avec la conscience des enseignements d’un passé éprouvé,
- le respect du secret professionnel,
- l’encadrement du partage du secret professionnel (permettre d’être au plus près des besoins avec les limites nécessaires) ,
- la sécurité des systèmes d’information, notamment en cas de saisie…
Des groupes de travail au sein des institutions et organisations sont à l’ouvrage pour fournir des guides de bonnes pratiques afin d’aider au développement sécurisé de ces structures et en faciliter le développement.
Tout est à imaginer, construire et développer, il faut favoriser les lieux d’incubation, encadrés, de projets interprofessionnels.
4. La transformation
Obligation déontologique et enjeu d’employabilité.
La formation « en faisant » ensemble est certainement une voie à privilégier.
L’incubation de projets interprofessionnels est naturellement une excellente voie, celle du « learning by doing ». Une voie pour la formation initiale afin d’inciter les jeunes à imaginer dès le départ en fonction de leurs goûts et talents un projet interprofessionnel à impact sociétal qui leur corresponde.
Les incubateurs créés dans la profession d’avocat par exemple permettront sans doute, si cette orientation est insufflée, de voir naître des projets interprofessionnels pour porter les lunettes de la complexité.
La formation étant destinée à permettre l’employabilité, elle vise à donner aux élèves des capacités d’adaptation tout au long de la vie à l’évolution des futurs métiers : elle se doit ainsi d’anticiper les changements afin de développer les compétences nécessaires.
Quelles compétences aux changements, à l’adaptabilité ?
Ce sont les dix compétences essentielles à développer selon de Forum économique mondial, parmi lesquelles :
- la capacité à apprendre
- la créativité, l’originalité
- la prise d’initiative
- l’intelligence émotionnelle
- les capacités de leadership,
- la capacité à intégrer les outils technologiques dans la pratique,
- l’analyse et la pensée critique
- la capacité à résoudre des problèmes complexes.
Les professions travaillent sur les compétences à développer et les outils pédagogiques, à l’image de écoles d’avocats réunies à l’EFB pour le Forum de la Formation du Conseil national des Barreaux le 7 novembre.
Avec les organisations européennes et des écoles d’autres secteurs, elles ont échangé autour des bonnes pratiques, telles que par exemple les méthodes collaboratives ou les cliniques juridiques.
Il faut évoluer vers des entreprises apprenantes : avocats programmeurs et avocats utilisateurs impliqués, une interprofessionnalité (intégrant aussi les ingénieurs) dès l’école, de la conception à la participation en passant par l’animation interprofessionnelle.
L’indispensable formation aux « soft skills »
Le Fonds Interprofessionnel de Formation des Professionnels Libéraux (FIF PL) met en place une démarche d’amélioration constante qui permet d’avoir un effet sur le niveau de la qualité des formations notamment par le contrôle des organismes de formation.
Voici les questions déjà identifiées.
Les formations pouvant entrer dans le Compte Personnel de Formation (CPF) des libéraux, le traitement des dossiers, de la numérisation, les procédures dématérialisées, les formations interprofessionnelles et formations de conversion, la formation de longue durée, VAE, la reprise d’entreprise pour lesquelles des enveloppes financières ont été dégagées, l’évolution des critères de prise en charge pour tenir compte des besoins de formation des professionnels libéraux notamment à l’égard des compétences souples (soft skills, en anglais).
Dans cette recherche, les soft skills sont en effet cette part d’humanité essentielle dans la qualité de la relation client pour le traitement individualisé, la compréhension de la complexité pour permettre la prise de décision de son client ou patient, que le professionnel libéral accompagne dans une autonomisation.
L’allègement de la charge mentale du professionnel qui ressort de la responsabilité des organisations passe par le développement des soft skills et le développement des outils d’aide à la prise de décision sereine.
L’éthique par sa démarche réflexive qui engage à réfléchir sur les valeurs, les hiérarchiser, pour agir avec justesse dans des situations complexes, pour lesquelles il n’y a pas de réponse prédéterminée, pour permettre les actions autonomes responsables est essentielle pour discerner, choisir, décider et agir avec justesse en situation.
Il faut développer une éthique relationnelle pour permettre la collaboration avec le client ou patient et d’autres professionnels, mais aussi développer les analyses de pratiques professionnelles, aider à la réflexion de son rapport au métier et à la machine
Ma conclusion a été cette citation d’Herbert Kelleher, cofondateur de Southwest Airlines que j’aime beaucoup, rappelée mardi matin par Caroline LOISEL venue faire une conférence sur l’employabilité chez Avocap :
We have a stratégic plan…It’s called doing things
Chacun de nous écrit la transformation parce qu’elle passe par la transformation de soi. « un connais toi toi-même individuel et collectif. »
Et la responsabilité de nos organisations et institutions rejoint bien la responsabilité collective selon Paul Ricoeur « la visée d’une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes ».
Bénédicte Bury
(*) Bundesverband der Freien Berufe, l’Union Fédérale des Professions Libérales allemandes