3 questions à Alain Toledano, cancérologue
Alain Toledano, médecin cancérologue et radiothérapeute à Levallois Perret (92) et président de président de l’Institut Rafaël, centre de médecine intégrative, nous partage les raisons qui l’ont fait choisir son métier, des temps forts de son quotidien et ses projets pour l’avenir.
Entrevue filmée dans le cadre de notre série d’interviews 3 questions pour un professionnel libéral :
- Quelles sont les raisons de votre engagement dans la profession libérale choisie ?
- Quel est votre meilleur souvenir, une émotion forte de votre exercice professionnel ?
- Quel projet professionnel, quel développement nourrissez-vous aujourd’hui ?
Les professions libérales, ce sont les métiers de la vie, des professions à impact qui accompagnent les particuliers et les entreprises au quotidien avec proximité et humanité, de la naissance à la fin de leur existence, dans leurs réussites comme dans leurs difficultés.
Voir la vidéo portrait d’Alain Toledano :
Extraits choisis
Positionner le patient au centre. Prendre ce qu’il y a de mieux dans la médecine conventionnelle. Ce qu’il y a de mieux dans les médecines complémentaires et toutes ces interventions non médicamenteuses. Et intégrer tout cela à la médecine, c’est avoir une vision de la Santé intégrative. C’est ce qu’on a promu également dans nos recherches et dans nos développements. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui j’exerce avec tout un tas de praticiens de disciplines différentes. On travaille de façon transdisciplinaire, main dans la main, chacun avec le même système de valeurs, de prise en charge globale de chaque patient.
Et ce qu’on veut, c’est démontrer que ces 24 millions de Français qui ont des maladies chroniques, qui souffrent, comme leurs aidants, ont besoin qu’on les prenne en charge autrement qu’à coup d’ordonnances. Même si on a de la chance d’avoir des médicaments et un système de sécurité sociale qui les rembourse.
Quelles sont les raisons de votre engagement dans la profession libérale choisie ?
Mon engagement dans la cancérologie, c’est d’abord un engagement en médecine. La médecine, on aime l’étudier, on aime comprendre le corps humain et on aime aussi soigner. On aime prendre soin de l’autre. Donc avant d’être spécialiste, finalement, on aime cette médecine.
Maintenant, c’est vrai que la médecine a été un peu préemptée par le progrès technique, alors que la médecine, c’est toutes les connaissances scientifiques et les moyens qu’on va utiliser pour soulager, prévenir et traiter des maladies, des blessures, des infirmités. Avec des simples mots, on soigne et avec des mots qu’on ne prononce pas, des fois on fait du mal. Donc, d’abord, arriver à comprendre la médecine et à soigner, avant d’être spécialisé.
Et après les expertises vont être utiles. Sur des maladies comme le cancer, on a tout de suite qui s’invitent la peur de mourir, la peur de souffrir. Bien qu’aujourd’hui, avec les dépistages et les moyens scientifiques, on guérit de mieux en mieux. Autour de la cancérologie, on a toutes les avancées en science, en biologie moléculaire, mais aussi en sciences humaines, en manière de se comporter.
Et c’est vrai que la cancérologie a besoin de plusieurs équipes pour arriver à ce que les parcours de soins soient efficaces. Et donc on va travailler avec de la chirurgie, de l’anatomopathologie, de la radiologie, de la radiothérapie, tout ce qui est moléculaire, génétique. Donc, c’est vraiment un secteur d’activité frontière entre plusieurs sciences, plusieurs arts. Et c’est ça qui est intéressant en cancérologie.
C’est vrai que le rapport à la maladie « grave » entre guillemets, il va créer une certaine manière d’exercer une posture. On a une forme d’engagement, il faut le ressentir ou pas. Donc, en plus du côté scientifique, il y a le côté humain dans cet engagement en cancérologie, avec cette discipline qui est pleine de promesses et qui est déjà en plein bouleversement.
Dans la cancérologie, moi, je me suis aussi spécialisé en radiothérapie, avec tout le côté technique des robots, de l’intelligence artificielle, de la physique appliquée aux rayons qui vont permettre de détruire de façon ciblée des tumeurs. Donc mon côté médical, il se nourrit vraiment de cette discipline, cette spécialité.
Mais je me définis pas que comme médecin cancérologue puisqu’aujourd’hui j’ai une partie de mon activité qui est un entrepreneur social et solidaire, avec une action associative et enfin une autre casquette qui est plutôt académique puisqu’aujourd’hui on a ouvert une Chaire en Santé intégrative au Conservatoire National des Arts et Métiers, où il y a tout un pan de recherche, d’enseignement, de création des nouveaux métiers, de fabrication de diplômes et finalement de promotion de certaines valeurs de la santé intégrative.
Quand on rentre dans une filière pour étudier, on va acquérir des connaissances, éventuellement des compétences et finalement, en fonction des endroits où on exerce, des connaissances qu’on va faire, des opportunités, de la demande, du terrain – les terrains ne sont pas les mêmes – on va avoir des manières d’exercer très différentes.
Je crois que quand on s’engage dans un cursus, on ne sait pas forcément comment on exercera plus tard. Et c’est la beauté de l’histoire. On cherche aussi une forme de liberté d’exercice, mais on a tous des contraintes dans nos exercices. Et donc ce côté libéral dans l’exercice, il a aussi sa valence en termes de contraintes et ce qu’il faut, c’est trouver ses équilibres.
Personnellement, j’ai toujours cherché à avoir une action clinique pour voir le bénéfice de mon activité chez les patients et me nourrir des patients. Mais on ne peut pas ne faire qu’exercer sans chercher à améliorer son art. Donc il y a tout un pan de recherche quand on fait de la clinique qui est important. Et après, sur le plan identitaire, je suis persuadé que la filiation, la transmission, c’est indispensable.
Donc la recherche, le soin et l’enseignement, c’est un triptyque sur lequel on tourne dans nos professions et qui est très équilibrant. Après, c’est les proratas, les quantités qu’on va affecter à chacune de ces activités. Et c’est pour ça que la liberté aussi, c’est que chacun puisse avoir un mode d’exercice différent et de contribuer à construire le système dans lequel on évolue.
Et finalement, on transforme tous le système de santé au quotidien en offrant quelque chose de nous même et en utilisant des préceptes qui nous ont été transmis. Donc c’est une incitation pour que chacun se forme bien et se laisse la possibilité de transformer sa vie en permanence, tout comme il se doit de transformer le système de santé.
Moi, très tôt, je me suis aperçu que finalement, la demande des patients était très supérieure à ce que je pouvais leur offrir. Donc j’ai naturellement tenté de constituer des équipes et on travaille en équipe pour que le patient, on puisse lui offrir un parcours en santé et pas uniquement un diagnostic ou un traitement de spécialiste.
Et donc on a monté par exemple l’Institut Rafaël où on est aujourd’hui, qui est un centre où vont cohabiter des acteurs médicaux et paramédicaux, des hypnothérapeutes, des sophrologues, des psychologues, des diététiciennes. Il y a 40 disciplines et 90 soignants qui travaillent ensemble, main dans la main, et on va co-construire pour chaque patient des parcours d’accompagnement qui sont coordonnés et qui vont être orientés vers la nutrition, vers les émotions, l’activité physique, le bien être, le retour à l’emploi. Et on a décidé de le faire de façon associative, en offrant des soins aux patients et en les évaluant, pour montrer qu’en s’occupant globalement de chaque patient, c’est mieux que si on s’occupait que de leur maladie.
Quel est votre meilleur souvenir, une émotion forte de votre exercice professionnel ?
C’est une dame qui nous a sollicités pour entrer dans un parcours d’accompagnement parce qu’elle élève seule sa fille de 15 ans, son fils de 18 ans et que son fils a une leucémie aiguë, il vient de sortir du traitement et la femme disait « Écoutez, mon fils ne veut plus aller à la fac, il pleure. Je ne sais plus quoi faire ». Elle versait des larmes. Et donc on l’a intégré dans un parcours d’accompagnement.
Et puis quelques mois après, on voit un beau jeune homme qui vient nous dire bonjour. On était en train de faire un événement à la mairie d’à côté de chez nous à Levallois. Et ce jeune homme, c’était justement ce jeune homme qu’on avait pris en charge, qui était très bien, qui saluait tout le monde, qui était bien dans sa peau au bout de 3 mois.
On s’est dit que pour l’accompagner, comme ces parcours ne sont pas financiarisés, faire du sport, la nutrition, la kinésithérapie, c’est en partie pris en charge, mais pas l’accompagnement pour arriver à travailler sur ses émotions, etc. Ce parcours a coûté finalement moins de 1 000 € à la société alors que le traitement de sa leucémie aiguë a coûté 200 000 € à la société. Donc sur le plan médico-économique, ça n’a pas de sens, notre manière de travailler, parce qu’on fait l’effort à 200, mais on ne fait pas l’effort à 1. À 200, on paye tous les brevets de la planète et on tue les gens socialement.
On a besoin d’appréhender l’autre de façon différente qu’à travers ses organes ou la gestion de sa maladie. Donc, quand on s’est engagé pour mieux prendre en charge les maladies chroniques à travers des parcours santé, il faut accepter l’idée qu’on a besoin d’être une équipe, qu’on n’a pas toutes les compétences. Et donc c’est notre capacité à travailler avec les autres, à formuler des objectifs ensemble, à formuler des plans de soins personnalisés ensemble, à les suivre, à les évaluer. C’est la rigueur du travailler ensemble, finalement, qui prend le pas sur vos propres expertises.
Au moment où c’est à vous de jouer, il faut le faire, donc il faut se développer SOI-MÊME et se développer dans un collectif. Et c’est ça la beauté de notre art. C’est pas juste une collaboration, c’est une synergie, parce qu’on pourrait avoir des praticiens qui travaillent les uns à côté des autres et là on additionnerait ce que les uns et ce que les autres peuvent apporter. Mais en règle générale, on sait très bien que chacun va s’exprimer comme il veut et a une vision et une manière de voir différente.
Et la cohérence du discours qui est souvent n’est pas assurée, fait que le patient, il est tiraillé entre des approches différentes, entre des cultures différentes, entre ses propres croyances. Mais si on arrive à aligner, à créer une symphonie entre tous les soignants qui travaillent autour du même patient, là on va l’élever le patient et ainsi il va pouvoir guérir. Et guérir, c’est un état de retour complet à un bien être physique, mais aussi mental et social.
Quel projet professionnel, quel développement nourrissez vous aujourd’hui ?
La vision prospective, c’est pas simplement pour prédire l’avenir, c’est ce que disait Saint-Exupéry, c’est de le rendre possible. Donc quel avenir on veut rendre possible ? D’abord, il faut qu’on puisse augmenter la quantité de vie et arriver à lutter contre les maladies. Donc, moi, je garderai un investissement scientifique : faire de la recherche, utiliser les thérapies nouvelles, les médicaments, les drogues non médicamenteuses, physiques, toute la technique, aller s’intéresser à ce qui se passe en médecine, en chirurgie, en biologie, c’est magnifique. Donc gérer la maladie, ça peut vous prendre une vie, mais ce n’est pas suffisant.
Il faut qu’on puisse offrir aux patients et la gestion de sa maladie et le reste. Donc développer des systèmes où on peut prendre en charge ces défaillances, ces handicaps, ces problèmes sexuels, ces problèmes culturels. Il y a des droits culturels. Quand on a aujourd’hui un repli sur soi qui est dû au fait qu’on a une identité de malade, qui nous cantonne finalement à être soumis à un système de santé qui nous chosifie un peu. On a besoin de se retrouver, on a besoin de se retrouver dans sa production, dans ses émotions. On a besoin d’un accompagnement dédié. C’est pour ça qu’on a créé un département de santé culturelle et tout un programme de santé culturelle qui va aller de la spiritualité à l’utilisation des arts thérapie.
Et pour nous, c’est fondamental d’arriver à faire en sorte que le patient y soit aussi bien traité sur le plan médical pur, technique, biologique, scientifique que sur le plan global, humain. Et c’est cette totalité qui doit être le système de référence dans lequel on s’inscrit tous. Pourquoi ne pas étendre une approche systémique à condition de l’évaluer sur le plan médico-économique, de faire des petits, puis de faire en sorte qu’il y ait des formations qui émergent avec cette vision de santé intégrative.
40 % des cancers et 80 % des maladies cardiovasculaires sont évitables, si on travaille sur l’alcool, le tabac, la sédentarité, le surpoids. Donc, plutôt que d’affecter moins de 3 % de nos budgets à la prévention, il faut qu’on puisse avoir de vraies campagnes de promotion de la prévention en santé. Les facteurs environnementaux, les facteurs comportementaux. Donc mieux former les acteurs de santé, qui qu’ils soient. Pas juste les médecins. On a besoin de tout le monde et de toute la société.
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Les interviews de la Chaîne YouTube
Nos professions libérales exercent des métiers à impact, ces vidéos mettent en relief la contribution de chacun dans le monde que nous avons envie de construire ensemble pour qu’il dure.
Retrouvez sur notre chaîne YouTube toutes nos vidéos :
- Marie Christine Barbotin, chirurgien-dentiste
- Emira Zaag, architecte
- Antoine Feuvrier, huissier de justice
- Gérald Coutaye Caroumbin, ostéopathe kinésithérapeute
- Arthur Clément, médecin biologiste
- Isabelle Berthé, sophrologue
- Gilles Bösiger, expert comptable
- Debora Farji Haguet, interprète traductrice
- François-Xavier David, mandataire judiciaire à la protection des majeurs
- Patrick Prigent, administrateur judiciaire
- Valérie Meunier, docteur spécialiste en ophtalmologie vétérinaire
- Clara Huynh, conservatrice-restauratrice en patrimoine métallique
- Jean-Charles Nicollet, conseil en propriété intellectuelle
- Tiffany Serna, ergothérapeute
- Etienne Huguet, économiste de la construction
- Fanny Bon, architecte intérieur
- Guillaume Géneau, géomètre expert
- Aurélie Lebrasseur, diététicienne-nutritionniste
- Richard Fourdrinoy, éducateur sportif et sophrologue
- Alain Toledano, médecin cancérologue